Un locateur menace de faire appel aux pompiers pour évincer ses locataires

Wasim Osman dans son appartement, une bâche au plafond.

Une bâche a été installée dans l’appartement de Wasim Osman en raison de l’eau qui coule du plafond.

PHOTO : RADIO-CANADA / THOMAS DESHAIES

Thomas Deshaies

Après Sherbrooke, c’est au tour de locataires de Montréal de dénoncer les agissements d’un gestionnaire et propriétaire immobilier de l’Estrie, Tristan Desautels. Une enquête de Radio-Canada montre qu’il menacerait de faire appel aux pompiers pour évincer ses locataires afin de rénover le bâtiment. Ces derniers estiment que Tristan Desautels aurait aussi fait preuve de négligence en omettant d’intervenir rapidement au sujet d’un toit percé à de multiples endroits.

C’était un endroit magnifique, mais maintenant, comme vous voyez [cela ne l’est plus]*, se désole Wasim Osman en nous pointant la bâche accrochée au plafond de son petit appartement du 255, rue du Square-Saint-Louis, à Montréal.

Depuis le 8 août, il pleut littéralement à l’intérieur. Ce jour-là, un homme a percé la toiture à plusieurs endroits avec une perceuse. Wasim Osman a eu le réflexe de dégainer son téléphone pour filmer la scène.

PHOTO : RADIO-CANADA / THOMAS DESHAIES

L’homme, qui était inconnu du locataire, a refusé de se nommer et il nous a été impossible de l’identifier. Son intervention a toutefois occasionné une importante infiltration d’eau lorsque la pluie s’est abattue sur Montréal à peine quelques heures après son passage. C’était comme des chutes d’eau, se souvient Wasim Osman.

Wasim Osman se désole que le représentant de l’entreprise propriétaire du bâtiment, Tristan Desautels, ait tardé à faire des réparations d’urgence pour que l’eau cesse de s’infiltrer, alors qu’il a été interpellé à de multiples reprises.

Ce n’est que trois semaines plus tard, au lendemain du passage d’une équipe de Radio-Canada dans l’immeuble, que le toit a été réparé.

Wasim Osman et trois autres locataires de l’immeuble dénoncent la négligence de Tristan Desautels. Ils croient que ce laxisme s’ajoute aux stratégies déployées par le locateur pour les évincer. Il a continué à faire pression et à me harceler pour que je quitte l’appartement, même si je lui ai dit explicitement que je n’avais pas l’intention de quitter*, témoigne Michael Wozny, l’un des locataires.

Des plats de plastique, des chaudrons et des poêles recueillent l'eau qui tombe du plafond.

Il pleut littéralement dans l’appartement de M. Osman.

PHOTO : RADIO-CANADA

Menace d’éviction par les pompiers

L’entreprise représentée par Tristan Desautels devient propriétaire de l’immeuble le 6 juillet 2022. Dès le lendemain, Tristan Desautels tente de convaincre les locataires de résilier leur bail.

Il affirme que le bâtiment est dangereux et qu’il doit faire des rénovations. Il mentionne que les pompiers pourraient du jour au lendemain les évincer. C’est le chantage qu’il a fait, qu’on allait se retrouver la maison barrée et qu’on allait être expulsés par les pompiers, s’insurge Jean-Roch Boivin, un locataire qui habite l’immeuble depuis plus de 30 ans.

Dans un enregistrement audio enregistré par Wasim Osman et un courriel obtenus par Radio-Canada, Tristan Desautels affirme qu’il suffit d’un appel pour que les pompiers évacuent les lieux.

« On peut juste appeler les pompiers et vous serez dehors.[…] Vous pouvez prendre une chance et ne pas me croire, mais vous aurez tous une surprise.* »

— Une citation de  Tristan Desautels, extrait d’un enregistrement audio

Wasim Osman a filmé cette entrevue avec Tristan Desautels

Vérification faite : la Ville de Montréal indique avoir effectué une inspection le 16 août et aucune évacuation n’était justifiée. L’ancien propriétaire du bâtiment nous a confirmé que le jour de la vente, le bâtiment était sécuritaire.

Les locataires rencontrés affirment tous que Tristan Desautels a fait preuve de beaucoup d’insistance pour que les locataires signent rapidement un document de résiliation de bail.

Du harcèlement, selon un avocat

Légalement parlant, il s’agit de harcèlement du locateur envers le locataire, commente l’avocat spécialisé en matière de logement, Daniel Crespo Villareal.

Me Crespo Villareal juge que la menace d’éviction par les pompiers est punissable par la loi. On est en train de jouer à du chantage, à des menaces, de faire pression pour nuire à la jouissance des lieux pour obtenir l’éviction permanente. Cela est punissable par le Code civil du Québec, souligne-t-il.

Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.

Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.

– Article 1902 du Code civil du Québec 1902

Une compensation jugée insuffisante

Tristan Desautels n’a offert qu’un mois de loyer gratuit aux locataires pour les convaincre de résilier leur bail, soit un montant d’environ 600 $. La loi l’oblige pourtant à offrir beaucoup plus pour une éviction temporaire en raison de travaux majeurs, selon Daniel Crespo Villareal.

La compensation qui est offerte dans ce cas-là est nettement insuffisante, souligne Me Crespo Villareal. Tous les frais de déménagement, de déconnexion et la différence de loyer à payer dans le loyer temporaire devraient être assumés par le locateur. Ça, c’est le seuil minimum. On parle au bas mot de quelques milliers de dollars.

Toujours selon l’avocat, le locateur aurait dû envoyer un avis de travaux majeurs aux locataires pour les aviser de la nature des travaux et de la durée de l’éviction. Les locataires peuvent s’y opposer s’ils considèrent que l’éviction ou la durée [de l’éviction] ne sont pas nécessaires à l’exécution des travaux, précise l’avocat.

Les locataires qui se sont confiés à nous affirment n’avoir jamais reçu d’avis de travaux majeurs. J’ai jamais reçu une lettre me disant ses intentions, cela a toujours été des paroles, du vent dans les corridors, témoigne Jean-Roch Boivin.

« On n’a jamais eu d’avis, aucun, aucun, jusqu’à ce jour. »

— Une citation de  Jean-Roch Boivin, locataire
Jean-Roch Boivin, dans son appartement.

Jean-Roch Boivin est heureux de compter sur l’appui des autres locataires pour résister à Tristan Desautels.

PHOTO : RADIO-CANADA / THOMAS DESHAIES

Le document de résiliation de bail distribué par Tristan Desautels n’était pas un avis, selon Me Crespo Villareal, qui a pu consulter le document. On est en train de faire signer un document qui n’a rien à voir avec les travaux, mais qui a comme seul objectif et finalité l’éviction permanente des locataires, précise-t-il.

Solidarité entre locataires

Le groupe de quatre locataires refuse de quitter les lieux tant et aussi longtemps que Tristan Desautels ne se pliera pas aux exigences de la loi. Si on accepte de quitter, on devra payer le double du loyer [pour un autre logement], craint Wasim Osman.

Ce dernier n’aurait aucun problème à quitter temporairement les lieux pour revenir après les travaux. J’aime cette fenêtre, souligne-t-il, montrant la vue sur le carré Saint-Louis. Comme je vous l’ai dit, je suis devenu canadien ici.* 

Dans un enregistrement audio fourni par Wasim Osman, nous pouvons toutefois constater que Tristan Desautels est réticent à cette possibilité. Il lui fait savoir que le loyer augmentera significativement après les travaux.

Tristan Desautels.

Les méthodes utilisées par Tristan Desautels sont dénoncées par les locataires, qui estiment qu’il fait de la pression indue pour qu’ils quittent leur logement.

PHOTO : LINKEDIN

Jean-Roch Boivin se sent soulagé de pouvoir compter sur l’appui des autres locataires. Il espère toutefois qu’il ne sera pas une autre victime de l’embourgeoisement. Je suis content d’avoir de l’appui pour que ça s’arrête et qu’il reste encore des pauvres au carré Saint-Louis, conclut-il.

« Je pense à tout cet argent dépensé, à tous ces inspecteurs [venus inspecter] pour [répondre aux allégations de danger] d’une personne qui profite du système, qui profite de la peur des gens, qui l’érige en système. Il se vante de cette technique de management, ça va loin. »

— Une citation de  Jean-Roch Boivin, locataire

Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre Tristan Desautels, mais sans succès. Il nous a raccroché la ligne au nez, et n’a pas répondu à notre demande d’entrevue par courriel.

* Ces propos ont été traduits de l’anglais.

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