Rénovictions : d’irréductibles Gaulois refusent toujours de quitter le Manoir Lafontaine, 1 an après
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Guillaume Cyr/24 heures
Maggie Sawyer et doyenne du Manoir Lafontaine, à gauche, et Renée Thifault, à droite, sont dans cette lutte depuis avril 2021.
Le stress a commencé le 30 mars 2021 pour les locataires du 3485, avenue Papineau. Chaque porte a reçu un avis d’évacuation temporaire pour des travaux qui devaient durer au minimum sept mois, à compter du 30 juin 2021. Les réparations devaient concerner, entre autres, les systèmes mécaniques et électriques, le remplacement de la toiture et l’élimination d’amiante dans les murs.
Les locataires devaient, eux, libérer les 14 étages de l’immeuble construit en 1966, jusqu’à ce que les travaux soient terminés, avec une indemnité équivalant à trois mois de loyer, un montant que certains résidents avaient à l’époque jugé «dérisoire».
Le début d’une longue bataille
Une longue bataille largement médiatisée s’en est suivie, entre les résidents de l’immeuble désireux de rester dans leur logement pendant la durée des travaux et les propriétaires Jeremy Kornbluth et Brandon Shiller, de la société Hillpark Capital. Elle a culminé le 23 avril 2021, lorsqu’une centaine de personnes ont manifesté devant l’édifice pour dénoncer ce qui était considéré comme l’une des plus grosses tentatives de «rénoviction» de l’histoire de Montréal.
Au mois de juin, l’éviction avait finalement été suspendue, le temps que la cause soit entendue devant le Tribunal administratif du logement (TAL).
Dans la semaine du 4 avril 2022, près de 10 mois plus tard, l’audience au TAL a finalement eu lieu. Une quinzaine de locataires ont témoigné, l’un à la suite de l’autre, afin d’expliquer qu’il n’était pas nécessaire qu’ils quittent leur logement pendant la durée des travaux, selon eux.
À l’approche de la décision finale, les résidents du Manoir Lafontaine regrettent-ils le chemin parcouru? Voici les impressions de trois d’entre eux.
Renée Thifault, 68 ans, un cancer, une pandémie et une tentative de «rénoviction»
Les banderoles qui ont marqué l’imaginaire des passants, rue Papineau, ont été enlevées des balcons quand des locataires sont partis. En effet, un an plus tard, le nombre de résidents dans l’immeuble est passé de 90 à 15. Les autres occupants ont accepté de signer une entente, selon les derniers combattants.
Mais ce n’est pas le cas pour tous les locataires. Renée Thifault habite dans son 2 1⁄2 depuis maintenant 13 ans. Les dernières années n’ont pas été de tout repos pour cette dame qui a pris sa retraite de la fonction publique québécoise en 2019. «Je n’ai pas la forme du tout, lance-t-elle d’entrée de jeu. En 2019, je me suis battue contre un cancer; en 2020, c’était la pandémie; en 2021, la rénoviction… et là, ça continue.»
Elle ne s’en cache pas: même si elle est contente d’avoir résisté pour faire valoir «ses droits», elle a connu des hauts et des bas dans cette lutte, et a passé des nuits d’insomnie à regarder le prix des appartements sur internet, sans rien trouver de comparable à son loyer de 670$ par mois.
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Mme Thifault espère encore pouvoir rester dans son appartement pendant les travaux. Elle accepterait d’être relogée si les réparations devenaient un risque pour sa sécurité, mais à condition de revenir dans son logement après coup. «C’est non négociable», affirme cette Montréalaise de 68 ans. Pour ce faire, elle veut une preuve écrite par un juge du TAL, craignant que son appartement soit loué à un nouveau locataire à son insu le temps de son transfert, même si, selon le TAL, cette procédure demeure illégale.
Fatiguée et stressée, Renée Thifault déplore le manque de considération des politiciens sur les questions de «rénoviction», comme c’est le cas avec le Manoir Lafontaine, et espère que les choses changent. «François Legault, après avoir vendu sa maison à 4 M$, il ne comprend peut-être pas qu’on est prêts à se battre pour un 2 1⁄2.»
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Maggie Sawyer, 79 ans, dans son logement depuis 53 ans
Depuis que Maggie Sawyer a emménagé au Manoir Lafontaine en 1969, le quartier du Plateau-Mont-Royal s’est largement embourgeoisé. Pourtant, la doyenne de l’immeuble aime toujours y vivre après toutes ces années, d’autant plus qu’un 2 1⁄2 avec garage près du parc La Fontaine à 575$ est un bien désormais introuvable dans le quartier.
«Des appartements en bas de 1200$, tu n’en trouveras pas», indique l’aînée qui payait seulement 150$ à son arrivée.
Cette coiffeuse ajoute qu’elle est «capable de se défendre», même si ce n’est pas de tout repos depuis avril 2021. «Avant mon témoignage au TAL, j’ai eu des maux de tête et un mal de cœur», dit celle qui a aussi souffert d’insomnie en regardant le prix des appartements sur Kijiji lors des derniers mois.
La dame de 79 ans est consciente que des réparations sont nécessaires dans l’immeuble, mais craint que le locateur n’en profite pour faire des rénovations esthétiques à l’intérieur des logements et ainsi augmenter considérablement le prix de son loyer. «On aime nos appartements comme ils sont», finit-elle.
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Loan Nguyen, 46 ans: «On n’est plus des voisins… mais des colocataires»
Loan Nguyen est l’une des mobilisatrices du groupe du Manoir Lafontaine depuis le tout début. L’analyste financière espère que leur combat pour rester dans les lieux ne sera pas vain et deviendra, au fil des années, un modèle pour ceux qui veulent lutter contre une tentative de «rénoviction». Elle dit aussi lutter pour les résidents âgés comme Maggie Sawyer et Renée Thifault, qui feraient face à une importante hausse de loyer advenant un départ.
«Notre solidarité s’est transformée en belle amitié», confie Loan Nguyen. Depuis maintenant un an, ils se retrouvent plusieurs fois par semaine. «On n’est plus des voisins… mais des colocataires. On est tous là pour tout le monde, pour se remonter le moral.»
Mme Nguyen, qui vit dans son 2 1⁄2 depuis 2015 et paie 750$ par mois, adore aussi vivre dans ce secteur du Plateau-Mont-Royal. Quitter son logement signifierait, pour la dame de 46 ans, ne plus jamais retrouver un appartement aussi abordable dans ce secteur. Et comme Maggie Sawyer ou Renée Thifault, elle vit des épisodes de stress et d’insécurité.
Mais en attendant le jugement, les trois femmes aiment mieux rester optimistes et croient encore qu’elles pourront demeurer locataires d’un appartement au Manoir Lafontaine le 1er juillet prochain.
− Avec Anne-Sophie Roy
Source et article complet : https://www.24heures.ca/2022/04/14/que-sont-ils-devenus–voici-les-derniers-gaulois-du-manoir-lafontaine