Québec doit mieux encadrer les évictions, disent plusieurs villes
« Je ne veux pas me chicaner avec la ministre, mais à un moment donné, elle a la capacité de créer un registre des loyers et elle peut changer le Code civil, mais elle ne le fait pas », a lancé jeudi au Devoir le responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, Benoit Dorais.
L’élu réagissait aux propos tenus vendredi dernier par la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, lors d’un débat à l’Assemblée nationale. Questionnée par le député solidaire Andrés Fontecilla sur le manque d’actions prises par Québec pour prévenir les évictions frauduleuses de locataires, Mme Laforest a interpellé les villes.
« À Montréal, il y a des arrondissements qui ont tout de suite décidé de déterminer […] si on pouvait continuer de donner des permis de rénovations ou de changement d’affectation ou de division », a-t-elle rappelé. C’est notamment le cas des arrondissements du Sud-Ouest et de Verdun. Ainsi, « les municipalités peuvent s’occuper de bien gérer les nouvelles affectations dans les logements », avait fait valoir la ministre. Elle avait ensuite assuré que « des travaux » sur des modifications au Code civil du Québec étaient en cours, sans détailler ceux-ci.
La capacité de réglementation des villes dans ce dossier est pourtant limitée, insiste M. Dorais, puisque le Code civil prévoit explicitement le droit du locateur d’expulser des locataires pour subdiviser un logement, l’agrandir ou en changer l’affectation. Ainsi, quand des arrondissements souhaitent aller plus loin que les règlements actuels, « nos avocats nous disent non », confie M. Dorais.
« Ce que ça prend, c’est une cohérence à la grandeur du Québec. Et ça ne peut pas être aux villes à gérer ça au cas par cas », relève également le maire de Mascouche, Guillaume Tremblay, qui estime que Québec a une « responsabilité » à cet égard. Ainsi, même si ce sont les villes qui accordent les permis de construction, « c’est de la responsabilité de Québec » de s’assurer que les locataires « soient protégés » des évictions, a aussi fait valoir le maire de Rimouski, Guy Caron, en entrevue cette semaine.
Si on imposait un contrôle fiscal des reprises et un mécanisme d’inspection […], peut-être qu’on aurait un peu moins d’évictions illégales.
— Martin Gallié
Concrètement, Québec pourrait par exemple déployer systématiquement des inspecteurs pour vérifier, après le départ des locataires, que les logements vidés l’ont bel et bien été pour des motifs prévus dans la loi — et non pas à des fins spéculatives —, indique Martin Gallié, professeur à l’UQAM et spécialiste en droit du logement. « Si on imposait un contrôle fiscal des reprises et un mécanisme d’inspection […], peut-être qu’on aurait un peu moins d’évictions illégales », avance-t-il.
Joint par Le Devoir jeudi, le cabinet d’Andrée Laforest a assuré que la ministre n’avait pas voulu « rejeter la balle aux villes » . « La ministre a simplement souligné les pouvoirs dont disposent les municipalités ainsi que les arrondissements, en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme », a affirmé par écrit son attachée de presse, Bénédicte Trottier Lavoie.
Un bilan incomplet
Devant l’Assemblée nationale, la ministre Laforest a par ailleurs semblé minimiser le rôle des évictions pour agrandissement, subdivision ou changement d’affectation dans la crise du logement actuelle, en se référant aux 286 dossiers en la matière introduits en un an devant le Tribunal administratif du logement (TAL). Or, « les données judiciaires ne reflètent pas les cas d’éviction et de reprise », soulève M. Gallié, puisque de nombreux dossiers se règlent à l’amiable.
La ministre Laforest « se réfugie derrière les chiffres alors qu’on sait que la majorité des locataires qui subissent ces tentatives ne se rendent pas devant le TAL », a renchéri de son côté Andrés Fontecilla lorsque joint jeudi.
Trois entreprises qui font des déménagements à Montréal disent avoir constaté une hausse du nombre de demandes de soumission provenant de locataires menacés d’éviction.
« On s’attendait à une diminution du nombre de déménagements et, finalement, on a plus de déménagements de réservés que l’année passée et que l’année précédente », relève le copropriétaire de l’entreprise Déménagement Le clan Panneton, Pierre-Olivier Cyr. Ce dernier fait aussi état d’un « nouveau phénomène » : les locataires victimes d’éviction représentent environ 40 % des demandes de soumission qu’il a reçues ces derniers mois.
« C’est quelque chose de triste. On voit des gens un peu perdus, qui ne savent pas où ils vont aller. Ils vont devoir changer leurs enfants d’école, quitter leur quartier », soupire pour sa part le propriétaire du déménageur Le plan pas con, Philippe Gredin, qui dit constater la même chose.
Des données fournies au Devoir par l’Office municipal de l’habitation de Montréal montrent que depuis le début de l’année, 21 des 114 requêtes reçues de la part de ménages à faible revenu ayant besoin d’aide pour se reloger sont reliées à des évictions pour « subdivisions et rénovations », soit 18 %. Quarante-deux requêtes concernent des évictions « pour comportement et non-paiement », tandis que 19 autres portent sur des « reprises de possession ».
Source et article complet : https://www.ledevoir.com/societe/699735/logement-quebec-doit-mieux-encadrer-les-evictions-disent-plusieurs-villes