PAULE VERMOT-DESROCHES
LE NOUVELLISTE
Paule Vermot-Desroches
Les locataires d’un immeuble du centre-ville de Trois-Rivières verront le loyer des chambres qu’ils louent passer de 300 $ à 650 $. Ils ont deux semaines pour déménager s’ils n’acceptent pas cette hausse. Parmi eux, on compte Jimmy Dubois-Godin et Isabelle Ouellet.

Loyer deux fois plus cher, ou à la rue dans deux semaines!

CHRONIQUE / La chambre est tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Un petit espace de vie suffisant pour dire qu’on peut y mettre un matelas et quelques effets personnels. La salle de bain se trouve à l’étage, et on la partage avec d’autres locataires. Dans la chambre juste en face, un dégât d’eau a transpercé le plafond. Des débris jonchent toute la chambre. À l’extérieur. on le voit bien: la plupart des fenêtres auraient besoin d’être changées. Une de ces fenêtres a été fracassée il y a belle lurette. On a tenté d’isoler l’entrée d’air froid avec ce qu’on pouvait.

Ce n’est pas un bloc appartement. C’est une maison de chambres qui accueille parmi les plus démunis de notre société. Certainement pas la plus belle maison de chambres en ville. En tout, ce sont 23 chambres qui se louent entre 300 $ et 380 $ par mois. Jusqu’à aujourd’hui. Les locataires de cet immeuble situé à l’intersection des rues Niverville et Saint-Prosper au centre-ville de Trois-Rivières ont appris récemment qu’ils devraient bientôt doubler leur loyer, jusqu’à 650 $ par mois pour ce petit bout d’espace, sinon ils seraient à la rue le 1er mai, dans deux semaines.

On savait déjà que la réalité du marché des logements abordables était difficile à Trois-Rivières, mais on vient probablement d’atteindre un nouveau sommet. Une situation qui soulève plusieurs questions sur le plan légal, et qui a littéralement fait bondir l’organisme Point de Rue, qui craint maintenant que plusieurs de ces locataires ne se retrouvent en situation d’itinérance.

En décembre dernier, l’immeuble a été vendu à un nouveau propriétaire qui habite la région de Niagara en Ontario, et qui oeuvre déjà dans le domaine de l’immobilier locatif.

Mardi dernier, ce que ces locataires ont appris, c’est que leur loyer passerait de 300 $ ou 380 $, à plus de 650 $ par mois. On leur donnait ainsi un délai de huit jours, soit jusqu’au 20 avril, pour répondre par courrier recommandé. Si l’augmentation n’est pas acceptée, les locataires sont priés de quitter le logement le 1er mai.

«Je ne peux pas accepter une telle hausse. Je n’en ai pas les moyens. Je vais probablement juste déménager», indique Isabelle Ouellet, qui ne cache pas à quel point la situation l’angoisse. «J’aime ça ici, c’est dans mes moyens. J’ai mes choses ici, ça me paraît une montagne de devoir changer de place», ajoute-t-elle, émotive.

Un autre locataire de l’immeuble, Jimmy Dubois-Godin, admet lui aussi qu’il n’aura pas les moyens de rester là. Il va essayer de trouver autre chose. Malgré que les loyers soient de plus en plus rares, avec un taux d’inoccupation de 0,9 %, mais aussi à cette période de l’année où les baux sont pour la plupart tous renouvelés.

«Ça n’a plus de bon sens, c’est le bout du bout. Il faut que la population sache ce qui se passe parce que ça continue d’empirer de jour en jour», résume Geneviève Charest, intervenante chez Point de Rue, organisme qui vient en aide aux personnes en situation d’itinérance et de rupture sociale.

Geneviève Charest, intervenante pour l'organisme Point de Rue.

Point de Rue connaît plusieurs de ces locataires, qui sont ou ont été des bénéficiaires de divers services de cet organisme communautaire. C’est par le biais de l’un d’eux que Point de Rue a été mis au fait de la situation. On craint désormais que plusieurs de ces locataires ne se retrouvent à la rue parce qu’ils ne peuvent pas se permettre une telle hausse.

«C’est un phénomène qu’on voit de plus en plus. Des propriétaires qui arrivent de l’extérieur, qui achètent à peu près tous les immeubles sans même savoir ce qu’ils achètent, et qui font tout pour évincer les locataires afin de pouvoir soit augmenter de beaucoup les loyers, soit se débarrasser des locataires dont ils ne veulent plus. On a vu, dernièrement, des propriétaires demander une augmentation de 1 $ de plus que le montant du chèque de l’aide sociale, juste pour ne plus avoir d’assistés sociaux parmi leur clientèle», se désole Geneviève Charest.

Dans le cas présent, on a pu comprendre que plusieurs des locataires n’avaient pas de bail signé, mais plutôt une entente verbale avec l’ancien propriétaire. Or, selon le site Internet du Tribunal administratif du logement (TAL), cela ne fait aucune différence. «Le locataire a toujours un bail, qu’il soit verbal ou écrit», peut-on notamment y lire.

Le nouveau propriétaire, Rajesh Patel, a fait l’acquisition de l’immeuble en décembre dernier. Il ne s’est pas défilé lorsque je l’ai contacté et a accepté de répondre à mes questions. Il estime être lié par aucune entente avec les locataires actuels puisqu’il vient d’acheter l’immeuble.

Faux, si l’on se fie au site Internet du TAL. «Le nouveau propriétaire acquiert les droits de l’ancien propriétaire, notamment le droit d’augmenter le loyer et de modifier toute autre condition du bail à son échéance. Ces modifications pourront prendre effet lors de la reconduction du bail seulement, et selon certaines modalités prévues à la loi», indique le TAL.

Rajesh Patel indique s’être basé sur l’outil de calcul des augmentations de loyer fourni sur le site du TAL afin de savoir quelle augmentation il pouvait demander. Cet outil calcule non seulement les loyers actuels, mais également toutes les dépenses générées par l’immeuble.

L'immeuble du centre-ville de Trois-Rivières compte 23 logements, et environ 35 locataires. 

«Tout augmente, et les coûts qui sont relatifs à cet immeuble sont beaucoup plus élevés. Les taxes, les matériaux, l’entretien, le chauffage. Juste en gaz, ma facture est de 7000 $», indique le propriétaire, qui rappelle que l’outil de calcul du TAL lui a permis de fixer le loyer qu’il était en mesure d’exiger à 650 $ par mois.

Selon le site web du TAL, un locataire dispose d’un délai d’un mois pour répondre à un avis d’augmentation du loyer. Lorsque je lui ai exposé que le délai de huit jours ne répondait pas à la loi, M. Patel a indiqué qu’il serait prêt à donner un délai plus long aux locataires pour transmettre leur réponse. Ce qui ne venait toutefois pas régler la question de l’échéance du 1er mai, moment où les locataires devront quitter s’ils refusent la hausse.

«J’ai déjà quelques locataires qui m’ont répondu qu’ils acceptaient», a indiqué le propriétaire.

«Évidemment, il y a des gens qui vont accepter, parce qu’ils ont peur. Même s’ils connaissent leur droit, ils ont peur de se retrouver à la rue parce que des logements, il n’y en a plus. L’avis de hausse du loyer, c’est une première tentative. Mais si le locataire refuse, certains vont utiliser d’autres moyens afin de les pousser à partir. On a vu des cas de harcèlement psychologique, de monde qu’on poussait à bout», considère Geneviève Charest.

Mercredi matin, une rencontre d’urgence a été convoquée à Point de Rue afin d’étudier le cas de cet immeuble. Du côté d’Info-Logis Mauricie, on n’était pas non plus en mesure de faire de commentaires pour le moment puisque certaines vérifications devaient être faites pour s’assurer que les droits des locataires soient respectés. On espère des réponses jeudi.

«Ce qui est certain, c’est que cette façon de faire est de plus en plus répandue, et qu’elle est l’une des causes de l’itinérance à Trois-Rivières et partout dans la région. Il faut que ça arrête, il faut que quelque chose se passe parce que de plus en plus de gens se retrouvent en situation de vulnérabilité. Le Centre le Havre est plein, le refuge est plein. Là c’est peut-être moins inquiétant parce que c’est la belle saison qui arrive. Mais cet automne, on va faire quoi», martèle Geneviève Charest.

Articles récents

Commencez à taper et appuyez sur la touche Entrée pour rechercher