« Je n’aurais pas dû signer » : des locataires de Limoilou s’estiment trompés

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Camille Carpentier (accéder à la page de l’auteur)

Une trentaine de locataires de Québec devront déménager à contrecœur le 1er juillet. Ils reprochent au propriétaire de leur immeuble d’utiliser des moyens détournés pour les évincer, ce que réfute ce dernier.

Raymond Côté habite l’immeuble de la rue des Aulnes, dans le quartier Limoilou, depuis 26 ans. Le septuagénaire peine à imaginer qu’il va devoir quitter ce quartier où tout le monde le connaît.

Je ne le prends pas. Je suis chez nous, ici, lance-t-il.

Et pourtant, il n’aura pas le choix de partir. Il raconte que le 2 janvier dernier, un employé du gestionnaire de l’immeuble a cogné à sa porte. Selon ses dires, il lui aurait annoncé qu’il ne pourrait plus habiter là et lui aurait demandé de signer une feuille. Raymond Côté a obtempéré, croyant, dit-il, qu’il s’agissait d’un avis d’éviction.

Ce n’était pas ça pantoute. C’était une feuille comme quoi on acceptait de déménager. C’est de l’hypocrisie, autrement dit, déplore le locataire.

Comme plusieurs résidents de l’immeuble de 36 logements, Raymond Côté a plutôt reçu un avis de reconduction de bail. Sur le document, l’augmentation de loyer n’est pas indiquée. Il a apposé sa signature en bas du document, confirmant son intention de ne pas reconduire son bail, le 1er juillet prochain.

Un avis de reconduction de bail.

Raymond Côté allègue que les gestionnaires de son immeuble l’ont encouragé à ne pas reconduire son bail. Le document comporte d’ailleurs une erreur dans la date de départ.

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Pour les locataires à qui Radio-Canada a parlé, les administrateurs leur ont promis trois mois de loyer gratuits, ainsi qu’un montant pour couvrir les frais de déménagement. Ces locataires ont également tous trouvé un nouveau logement pour le 1er juillet.

Le nouveau loyer de Raymond Côté sera plus cher que celui de son appartement actuel, un trois et demie pour lequel il paie 640 $ par mois. Il estime avoir été induit en erreur par l’entreprise Gestion immobilière Michel Côté, qui administre l’immeuble pour le compte du propriétaire.

« C’est malhonnête, c’est croche, ce n’est pas correct pour tout le monde. »

— Une citation de  Raymond Côté, locataire

Sa voisine a elle aussi signé une lettre indiquant qu’elle acceptait de quitter les lieux. Marie-Claude Forest affirme avoir reçu la visite de l’équipe de gestion au cours des dernières semaines.

Ils sont venus cogner à ma porte et ils m’ont dit carrément qu’il n’y avait plus de renouvellement, qu’ils allaient mettre le bloc à terre, affirme-t-elle.

La Ville de Québec précise qu’aucun permis de démolition ou de rénovation n’est en vigueur pour cet édifice.

Marie-Claude affirme qu’elle ignorait ses droits, dans ces circonstances.

« J’ai signé quelque chose que je n’aurais pas dû signer. »

— Une citation de  Marie-Claude Forest, locataire

Après la réception d’un avis de renouvellement de bail, la loi prévoit pourtant que les locataires ont un mois pour refuser une augmentation de loyer ou annoncer qu’ils ne renouvellent pas leur bail.

Tout comme Raymond, elle a l’impression que les gestionnaires et les propriétaires n’ont pas agi de bonne foi.

Moi, ce que je déplore, c’est qu’il n’y a pas eu le respect des lois, tonne-t-elle.

Marie-Claude Forest

Marie-Claude Forest aurait souhaité demeurer dans le logement qu’elle habite depuis près de deux ans.

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Des travaux nécessaires

Optiplex, l’entreprise propriétaire de l’immeuble, n’a pas souhaité accorder d’entrevue sur le sujet. Toutefois, un représentant de la direction a précisé à Radio-Canada que les travaux prévus sont nécessaires puisque des composantes de l’immeuble sont arrivées à la fin de leur vie utile.

Il a également tenu à préciser que l’objectif de l’entreprise est de reloger et de dédommager tous les locataires de façon adéquate. Quant à la conversation entre le gestionnaire et les locataires, sans savoir exactement ce qui a été dit, il trouve regrettable que des propos aient pu être mal interprétés.

Un édifice à logements du quartier Limoilou

Le propriétaire de l’édifice de 36 logements compte effectuer des rénovations importantes sur le bâtiment.

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Que dit la loi?

Au Québec, les locataires bénéficient généralement d’un droit au maintien des lieux. Toutefois, le Tribunal administratif du logement encadre les rénovations qui exigent le départ permanent ou temporaire des locataires.

  • Éviction

    Sauf certaines exceptions, un propriétaire peut évincer des locataires s’il effectue des travaux pour subdiviser, agrandir substantiellement ou changer l’affectation d’un logement. Un avis distinct doit être envoyé six mois avant la fin d’un bail d’un an et le locataire doit recevoir une compensation financière.

  • Travaux majeurs

    Un propriétaire qui souhaite faire des améliorations ou des réparations importantes dans un logement doit aviser le locataire trois mois à l’avance si son départ est requis pour plus d’une semaine. Un avis indiquant la nature des travaux et le montant de la compensation financière doit être envoyé. Le locataire pourra réintégrer le logement et une augmentation de loyer entrera en vigueur à la reconduction du bail.

Une entente de gré à gré

Les propriétaires qui souhaitent libérer un logement peuvent aussi faire une entente de gré à gré avec un locataire. Le directeur général de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Benoît Ste-Marie, précise que la façon d’interagir avec les locataires est cruciale.

« Des propriétaires qui disent à des locataires : »il n’y aura pas de renouvellement cette année», c’est interdit. »

— Une citation de  Benoît Ste-Marie, directeur général de la CORPIQ

Il croit aussi que l’insatisfaction des locataires ne veut pas nécessairement dire que le propriétaire a agi de façon malveillante.

Un propriétaire peut être très bien intentionné en disant à des locataires : «je vais procéder à des travaux qui vont être majeurs qui vont comporter des évacuations», nuance-t-il.

Un autre cas de rénoviction, selon le Bureau d’animation et d’information logement

Un organisme de défense des locataires de Québec est du même avis. Le Bureau d’animation et d’information logement (BAIL) n’hésite cependant pas à affirmer qu’Optiplex procède à des rénovictions sur la rue des Aulnes.

Les locataires ont le droit d’envoyer un avis de départ. Là où on a un questionnement vraiment sérieux, c’est sur les méthodes utilisées, note la coordonnatrice, Nicole Dionne. C’est toute la conversation qui a précédé cette signature-là qui est vraiment douteuse et problématique.

Nicole Dionne.

La coordonnatrice du BAIL, Nicole Dionne, affirme que l’organisme reçoit beaucoup d’appels de locataires victimes de « réno-évictions ».

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À son avis, les propriétaires préfèrent pousser les locataires à ne pas renouveler leur bail plutôt que d’envoyer des avis d’éviction ou de travaux majeurs.

C’est compliqué pour les propriétaires. Ce qui est plus simple, c’est dire : «vous ne renouvelez pas votre bail, vous me signez ça, je vais vous donner un peu d’indemnités». Ils vont contourner la loi pour arriver à leurs fins et augmenter les loyers plus rapidement que ce que le système le permettrait.

« Ils veulent complètement changer le profil des locataires. »

— Une citation de  Nicole Dionne, coordonnatrice au BAIL

D’ailleurs, depuis trois ans, le Bureau d’animation et d’information logement reçoit de plus en plus d’appels de locataires qui affirment être victimes d’une rénoviction, soit une éviction effectuée sous le prétexte d’une rénovation majeure.

Ça va encore être une année record pour nous au niveau de ce type de demandes d’information, dit-elle.

Quels sont les recours des locataires?

Les locataires qui regrettent d’avoir signé un avis ont malheureusement très peu de recours.

Les recours devant le Tribunal [administratif du logement] ne permettent pas de revenir sur une signature qui a été faite, note Nicole Dionne. À moins d’avoir subi une pression qu’on réussit à démontrer, et ça, c’est extrêmement difficile.

La meilleure protection des locataires demeure donc de se renseigner sur leurs droits avant de signer un document.

Source et article complet : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1874390/renovation-eviction-locataire-limoilou-quebec-bail

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