«De plus en plus de propriétaires essaient de contourner les lois»: des locataires dénoncent les rénovictions
En un an, le nombre de locataires à avoir demandé de l’aide auprès d’un comité logement a augmenté de 50%, après avoir déjà doublé entre 2019 et 2020. Face à la situation, des locataires visés par des évictions demandent d’être mieux protégés.
Huit cent soixante-quatorze, c’est le nombre total de locataires qui se sont présentés depuis le début de l’année qui ont demandé de l’aide dans un dossier d’éviction. En 2020, ils étaient déjà 600 ménages à s’être tournés vers un organisme venant en aide aux locataires, 300 en 2019.
C’est donc dire que les tentatives d’éviction ont triplé en deux ans à peine.
Montréal particulièrement touchée
Le phénomène s’observe principalement à Montréal, qui compte pour 85% des cas d’évictions de la province.
«Dans de nombreux cas, il s’agit de propriétaires qui veulent « optimiser » leur investissement en évinçant les locataires pour ensuite augmenter abusivement les loyers», affirme Maxime Roy-Allard, porte-parole du Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Ce dernier a publié mardi matin ses données pour 2021.
Comment les premiers concernés vivent-ils la situation? On est allé à leur rencontre.
Elle craint de devoir quitter son logement des 30 dernières années
Wendy Keating a reçu une première demande d’entente à l’amiable pour le non-renouvellement de son bail en octobre, avant même le rachat de l’immeuble dans lequel elle habite par son nouveau propriétaire. Ce dernier, qui souhaite transformer l’immeuble en copropriété indivise, souhaitait reprendre le logement pour le 30 juin.
Pour Wendy Keating, qui a perdu son mari il y a deux ans, la pilule était dure à avaler. Il faut dire qu’elle habitait son logement depuis une trentaine d’années. Avec ses voisins, elle a contacté un comité logement pour se battre. Ils ont refusé l’entente et ont tenté de sensibiliser la population et les locaux à coup de manifestations et de pétitions.
Autant dire que la nouvelle concernant l’augmentation des demandes d’aide ne la surprend pas. «C’est terrible», lance-t-elle.
Des lois doivent être adoptées pour empêcher les rénovictions, insiste-t-elle. «J’ai peur pour aujourd’hui, parce que tout ce qu’on fait portera ses fruits dans le futur. Ça va aider, mais pas nous personnellement. Ça va aider le monde après nous», regrette celle qui craint de se faire expulser par son propriétaire au cours des prochains mois.
Selon les données du RCLALQ, 53% des tentatives de reprise et d’éviction sont effectuées par des propriétaires ayant acquis l’immeuble depuis moins d’un an, comme dans le cas de Mme Keating.
Elle s’est battue pour avoir plus d’argent
Sans le soutien du comité BAILS d’Hochelaga-Maisonneuve, Caroline Doucet aurait perdu beaucoup d’argent.
Comme le rapportait le 24 heures l’été dernier, elle avait reçu un avis de reprise de logement de sa propriétaire. Cette dernière affirmait vouloir reprendre le logement pour y installer sa mère, qui n’était pourtant plus dans le portrait.
Bien qu’elle ait été évincée, elle a reçu une indemnité de 7500$, un montant bien plus important que les 1500$ que lui proposait initialement la propriétaire. C’est le comité BAILS qui lui avait indiqué qu’elle pouvait ouvrir une demande au Tribunal administratif du logement afin de prouver que la reprise de logement n’était pas justifiée et d’obtenir un montant d’indemnisation plus important.
«Je connais une partie de la loi, mais je ne la connais pas toute, alors ils m’ont éclairée. Ils m’ont encouragée aussi à m’obstiner, en me disant qu’il n’était pas trop tard», lance-t-elle.
Caroline Doucet n’est, elle aussi, pas surprise de la hausse du nombre d’évictions dans la métropole. «La hausse de la pauvreté, la hausse du coût de la vie, la hausse du coût des logements… j’ai réussi à en trouver un, mais je me trouve chanceuse. Normalement, je serais dans la rue», dit-elle.
Ils dénoncent les propriétaires qui contournent les lois
Loan Nguyen et Pascal Lavoie sont deux locataires du Manoir Lafontaine, un immeuble de 90 logements situé dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.
Depuis avril dernier, ils ne s’opposent pas aux travaux majeurs qui doivent être réalisés dans l’immeuble, mais plutôt contre la procédure menée pour les reloger temporairement. Les deux locataires soutiennent que la compensation financière est insuffisante.
Loan Nguyen et Pascal Lavoie sont d’avis que l’augmentation du nombre de demandes d’aide pourrait s’expliquer par le fait que les cas d’abus de propriétaires sont de plus en plus médiatisés. Le cas du Manoir Lafontaine avait d’ailleurs fait grand bruit, en avril dernier.
«On en a créé, des petits manoirs, plaisante Pascal Lavoie. Cet été, tous les quartiers avaient mis des bâches bleues sur leurs balcons pour montrer que le phénomène était partout», ajoute Loan Nguyen.
Ce n’est pas tout: «De plus en plus de propriétaires essaient de contourner les lois», déplore Pascal Lavoie.
«Les lois ne sont globalement pas mauvaises, mais il y a des trous dedans, poursuit-il. Ils [les propriétaires] vont trouver le moyen pour détourner les travaux majeurs et mettre les gens dehors. Ça n’existe pas dans la loi, les rénovictions.»