Après l’éviction, un chemin de croix pour trouver un nouveau toit
En pleine crise du logement, les évictions empoisonnent la vie de locataires désormais forcés de trouver un nouveau chez-soi. La grande journée de déménagement du 1er juillet a ainsi laissé un goût amer à Christopher McInnis : il a dû quitter son appartement après avoir refusé la hausse de loyer exigée par son ex-propriétaire. Et si une telle reprise de logement peut être légale, les locataires dans de telles situations manquent de recours, dénoncent des organismes.
« J’ai eu plein de complications. Ç’a été l’enfer », raconte l’homme âgé d’une trentaine d’années devant ses meubles empilés dans la remorque de son père, venu l’aider.
Depuis la rue du quartier Parc-Extension où il emménage, il explique que, malgré ses efforts pour rester dans son ancien logement à la suite de son refus de hausse de loyer, il a dû abdiquer. Après plusieurs tentatives infructueuses de chasser M. McInnis des lieux, son propriétaire aurait finalement demandé de reprendre possession du logement pour y accueillir sa fille. Debout sur le trottoir, Christopher McInnis émet des doutes quant aux véritables motifs du geste. « J’ai refusé une augmentation de 10 % parce qu’il ne voulait rien faire dans le logement. »
Son départ précipité l’a lancé dans la recherche urgente et difficile d’un nouveau logement. « J’ai eu des appartements qui n’avaient rien à voir avec les photos, j’ai eu des places où le propriétaire ne se déplaçait même pas… Il y a même des places où c’étaient des “scams”. On est allés et, en réalité, l’adresse n’existait pas. J’ai eu de tout », raconte-t-il.
Démarches complexes
De nombreux propriétaires de Montréal ont entrepris de déloger leurs locataires pour augmenter les loyers, note Martin Blanchard, du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec.
Il affirme que cette recrudescence des évictions est directement liée à la flambée des prix de l’habitation. « Les propriétaires qui mettent en location leur logement peuvent profiter d’une grande différence de loyer comparé à des locataires qui restent en place. Ils peuvent utiliser les mécanismes de reprise et d’évictions pour faire un gros profit », vocifère-t-il.
Selon une étude réalisée par son organisme, les loyers affichés sur la plateforme Kijiji sont plus de 50 % au-dessus du loyer moyen rapporté par la Société canadienne d’hypothèques et de logement dans la région métropolitaine de Montréal. « Cette année, on a la plus forte hausse des loyers offerts en location jamais observée », déclare M. Blanchard.
Si des solutions existent, celles-ci ne sont pas à la portée de tous. Les locataires doivent faire des démarches individuelles très complexes, selon lui. « Ça ne marche pas, ajoute Martin Blanchard. Il repose sur les épaules du locataire de monter un dossier de preuves et de retourner sur les lieux d’une expérience traumatique. »
Il estime que la loi rendant illégal ce genre de pratiques n’a « aucune dent » et n’est de toute façon « pas appliquée sur le terrain ». « Au bout du compte, si on réussit à passer à travers ce labyrinthe, on a une compensation moyenne de 5000 $ et on ne retourne pas du tout dans notre logement. Le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle », dit M. Blanchard.
Christopher McInnis se console en soulignant qu’il a au moins déniché un endroit où se reloger. « J’ai trouvé un logement qui a de l’allure. C’est un petit peu plus cher, mais c’est acceptable. Ça fait mon affaire », lâche-t-il.
750 ménages sans logement
De son côté, le Front d’action populaire en réaménagement urbain craint que la crise du logement laisse un nombre record de ménages sans toit dans la foulée de la grande journée des déménagements. « À l’avant-veille du 1er juillet, au Québec, on comptait 750 ménages locataires qui n’avaient pas trouvé de logement », contre 420 à pareille date l’an dernier, a indiqué la porte-parole de l’organisme, Véronique Laflamme, en entrevue téléphonique.
À Montréal, on comptait vendredi 107 ménages « accompagnés par les équipes et qui n’ont toujours pas trouvé de solution permanente », a fait savoir la Ville. Parmi ceux-ci, « certains ont pu négocier un prolongement de bail à court terme, d’autres pourront être hébergés par des proches ».
Selon Mme Laflamme, ces chiffres ne sont que « la pointe de l’iceberg de la crise du logement » : un nombre inconnu de familles doivent vivre « dans des situations épouvantables » ou dans un logis qui est trop petit ou trop cher pour leurs besoins, note-t-elle.
Avec Zacharie Goudreault et La Presse canadienne