200 personnes âgées reçoivent un avis d’éviction d’une RPA
Le nouveau propriétaire de la résidence privée pour aînés (RPA) Résidence Mont-Carmel à Montréal veut convertir l’immeuble de 216 unités en logements locatifs alors qu’il s’engageait dans l’acte de vente notarié à maintenir sa vocation. Une transaction de 40 millions de dollars.
Suzanne Saint-Jacques Mineau, 88 ans, ne s’attendait pas à la visite d’un représentant du nouveau propriétaire, lundi matin, à son appartement du boulevard René-Lévesque à Montréal.
En temps de COVID-19 et de contraintes sanitaires, les visites se font plutôt rares.
On m’a remis un avis d’éviction, et la raison donnée, c’est qu’ils ont acheté l’immeuble qu’ils veulent transformer en un logement multigénérationnel, explique-t-elle. Il n’y aura plus de RPA.
Selon l’Avis d’éviction pour changement de vocation d’un logement remis aux locataires et consulté par Radio-Canada, cela signifie que certains services qu’on associe généralement à une RPA comme une infirmière en résidence et des boutons d’alerte, par exemple, ne seront plus disponibles au-delà du 1er août 2022
.
Nous tenons à vous assurer que nous souhaiterions vous garder à titre de locataire de Mont-Carmel après la transition et que nous serions heureux de signer avec vous un nouveau bail comme simple locataire, au loyer actuel majoré de 3 %
, peut-on lire.
Comme le fait remarquer Mme Saint-Jacques Mineau, il y avait une aide-infirmière nuit et jour et on avait des sonnettes d’alarme si on tombait ou on était mal pris, on pouvait demander de l’aide
.
Avec une réception à la porte, le monde ne circulait pas chez moi, dans les couloirs, car c’est quand même un immeuble de 16 étages
, ajoute celle qui habite la résidence depuis maintenant huit ans.
La clause no 7
Selon les informations publiques recueillies par Radio-Canada, l’immeuble a été vendu 40 millions de dollars au mois de décembre 2021 par la famille Longpré à une société détenue et dirigée par Henry Zavriyev, un jeune investisseur immobilier dont les pratiques immobilières ont déjà fait l’objet de reportages dans les médias anglophones, notamment à CBC(Nouvelle fenêtre).
L’acte de vente notarié fait état d’une clause no 7 où l’acheteur s’oblige à respecter l’exploitation de l’immeuble par Résidence Mont-Carmel à titre de résidence privée pour aînés certifiée
.
Selon l’avocat Antoine Morneau-Sénéchal, auteur du livre Le louage résidentiel, à mon humble avis, cette clause pourrait permettre à la famille Longpré d’exercer un recours, c’est le vendeur qui serait lésé dans ses droits parce que l’acheteur n’a pas respecté les conditions de la promesse de vente
.
La problématique que je vois, explique Me Morneau-Sénéchal, c’est que le propriétaire veut retirer des services tout en augmentant le loyer, ce qui, moi, m’apparaît à sa face même très problématique. Normalement, lorsqu’on retire des services qui sont inclus, ça vient avec une diminution de loyer. Évidemment les propriétaires ne font pas ça, car cela mange leur marge de profit.
Joint par Radio-Canada, Pierre Longpré a mentionné être déçu par la tournure des événements.
On est déçus de voir ce qu’ils font avec, définitivement, c’était un immeuble qui nous tenait à coeur
, affirme M. Longpré.
On était toujours très présents […] On était là à toutes les occasions, les gens nous connaissaient
, confie celui qui est à la tête de l’entreprise familiale.
M. Longpré précise que la Résidence Mont-Carmel n’était pas à vendre et c’est une occasion d’affaires qui s’est présentée
.
M. Longpré est l’un des actionnaires et administrateurs de l’entreprise familiale qui était propriétaire de la RPA Mont-Carmel depuis la fin des années 80. La famille possède d’autres RPA à Laval.
De son côté, Robert Kunstlinger du Groupe LRM, gestionnaire de l’immeuble Mont-Carmel, nous a dirigés vers un relationniste.
C’est une clause qui a été mise dans le contrat par l’acheteur lui-même. […] C’est M. Zavriyev qui voulait avoir cette clause-là
, a expliqué à Radio-Canada Éric Barbeau, relationniste chez Proxiba Relations publiques.
Il tient à préciser cependant que ce n’était pas l’intention initiale de l’acheteur d’emprunter cette voie. Ils étaient vraiment déterminés à opérer cette RPA en tant que RPA au moment de la transaction, assure-t-il. Et puis dans le temps des fêtes, après la transaction, ils ont fait de bien mauvaises découvertes. Entre autres, que le bâtiment était en très mauvais état, qu’il y avait un taux d’inoccupation (12 %) qui n’avait pas été mentionné pendant les négociations qui ont mené à la transaction.
Le relationniste de Proxiba poursuit en ajoutant que l’acheteur se retrouvait aussi avec un paquet d’avis de non-conformité de la part de la Régie du bâtiment
auxquels il lui faudrait s’attaquer à très brève échéance.
Bref, résume-t-il, M. Zavriyev aurait été aux prises avec une situation financière qui n’était tout simplement pas viable
. Sans compter, ajoute-t-il, que les loyers que paient présentement les résidents de Mont-Carmel sont très bas, même dans le monde des RPA. À peu près la moitié de ce qui est payé, en moyenne, au Québec
.
Sur ces points, le président de Jalbec inc., Pierre Longpré, s’étonne des propos du porte-parole de l’acheteur. Ils ont fait assez d’inspections dans l’immeuble, ils étaient très au courant de tout, ils ont eu tous les baux en leur possession, ils savaient exactement qu’est-ce que c’était le taux de location et quand tu achètes un immeuble de cette ampleur-là, tu veux voir tous les baux, commerciaux et résidentiels.
Nous n’avons pu joindre Henry Zavriyev.
Sans commenter spécifiquement la situation de la Résidence Mont-Carmel, le président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Marc Fortin, rappelle que, dans les sept derniers mois, c’est plus de 60 RPA qui ont fermé
.
Parmi les raisons citées, M. Fortin mentionne notamment la pénurie de main-d’œuvre avec empêchement de rendre les services et respecter les seuils, l’immeuble ne répondant plus aux normes ou expiration de mise aux normes, le retrait de l’industrie financière du secteur des RPA, fonds d’investissement et banque, l’impossibilité de trouver un assureur pour le bâtiment ou les administrateurs
.
À son avis, il faut s’assurer de régler les problématiques afin de sécuriser des logements appropriés ainsi que des soins de qualité pour tous les aînés
.
Trois mois de loyer pour partir
Au cours des prochains mois, les 200 locataires de la Résidence Mont-Carmel devront décider s’ils déménagent ou demeurent locataires d’un appartement sans services de RPA.
Si vous préférez quitter, nous vous paierons la valeur de trois mois de loyer de base […] le CLSC de la Visitation aura été informé de la situation et saura répondre à vos besoins spécifiques […] nous vous offrirons les services d’une agence de placement en RPA, au besoin
, indique l’avis d’éviction.
Dans certaines circonstances, les locataires pourraient contester l’avis devant le Tribunal administratif du logement.
Le deux tiers des résidents ont plus de 75 ans, selon la fiche technique de la résidence au MSSS.
Je trouvais que ça devenait précieux d’avoir un endroit où je pouvais quand même me sentir en sécurité, et surtout à l’abri, je ne voudrais pas avoir un propriétaire, une espèce de requin comme ça
, conclut la locataire Suzanne Saint-Jacques Mineau.
Québec solidaire outré
Mis au fait du dossier, le responsable solidaire en matière de logement, Andrés Fontecilla, a déclaré par communiqué qu’il est tout simplement alarmant que le nouveau propriétaire ait promis une stabilité et le maintien des services à l’achat puis, un mois plus tard, il remet des lettres d’éviction à ces 200 personnes âgées!
Je suis terrifié par la facilité avec laquelle un propriétaire peut retirer un milieu de vie à des centaines d’aînés aussi simplement […] Où vont aller ces gens si Mont-Carmel ne peut plus leur offrir des services de santé, de sécurité et une proximité avec leur réseau d’aide et de services?
, a-t-il ajouté.
Le responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, Benoit Dorais, estime qu’il est hautement préoccupant
de voir une telle situation et interpelle le ministère québécois de la Santé dans le but de garantir les services de santé dans l’immeuble
.
Nous avons interpellé l’ensemble des acteurs impliqués afin que les locataires puissent être informés et faire valoir leurs droits. La volonté du propriétaire d’augmenter les loyers tout en diminuant les services offerts à ces locataires est regrettable. Nous encourageons tous les propriétaires à agir de façon responsable, alors que les locataires, et particulièrement les aînées, sont vulnérables face au marché immobilier et locatif
, affirme M. Dorais dans une déclaration transmise à Radio-Canada.
Avec la collaboration de Mathieu Prost